jeudi 28 juin 2007

Les constats alarmants du rapport "Familles, vulnérabilité, pauvreté" de la commission Hirsch

Avant d'être nommé Haut-commissaire dans le nouveau gouvernement, Martin Hirsch a présidé une commission qui a publié le rapport "Familles, vulnérabilité, pauvreté" en avril 2005. Ce texte de 116 pages ne refait pas le monde mais présente un certains nombre de constats qu'il convient d'avoir en tête lorsqu'on se préoccupe de la situation des plus démunis. Je vous en livre 2 qui me paraissent "exemplaires" dans le sens où ils remettent en cause la sacro-sainte injonction faite aux plus pauvres : "Levez-vous le matin pour chercher du boulot au lieu de profiter des services sociaux!" Ne riez pas, on entend ça plus souvent que vous ne le pensez, y compris (et c'est encore pire de mon point de vue) dans les services concourant à la lutte contre les exclusions.
" 1 - Les études sur cas types montrent qu’un allocataire du RMI perd du revenu quand il reprend un emploi à quart temps et n’en gagne pas à mi-temps

La Direction de la Sécurité Sociale a réalisé pour la commission une étude sur cas
types des effets financiers d’une reprise d'activité à des niveaux de rémunération modestes (variant d'un quart de SMIC à un SMIC à temps plein). 15 cas types sont ainsi simulés en fonction de l’allocation versée (RMI et API), de la configuration familiale (famille monoparentale ou non, comptant jusqu'à trois enfants) et du niveau d’activité du conjoint.
Cette simulation met en évidence l’existence persistante d’effets de seuil induits par le système de transferts. Ce qu’on peut appeler les « trappes à inactivité », sans donner de valeur subjective ou péjorative à cette expression (elle signifie que l’activité n’est pas rémunératrice, pas que les personnes ne souhaitent pas travailler) :
- une reprise d’activité à quart temps au SMIC conduit presque toujours à de très faibles gains nets, jamais supérieurs à 150€ par mois pendant l’intéressement et parfois très proches de zéro une fois la période d’intéressement terminée : ces montants semblent insuffisants pour couvrir les éventuels frais associés à la reprise d’activité. Il est à noter qu’à ce niveau d’activité, la prime pour l’emploi ne joue pas ou marginalement.

- une reprise d’activité à mi-temps procure entre 100 et 200€ par mois pendant la période d’intéressement et 20 à 50€ à l’issue de cette période : là encore les gains semblent extrêmement faibles (de l’ordre de 3€ de l’heure pendant la période d’intéressement). Les montants de la PPE perçus sont à nouveau très peu significatifs (20 à 30€).
- lorsque la reprise d'activité se fait à temps plein, la situation des ménages est sensiblement plus favorable notamment pour les couples : les gains sont supérieurs et davantage pérennes. Mais ces gains cachent des situations contrastées : pour les couples bi-actifs, les 500€ de gains sont en partie neutralisés par la perte de la CMU complémentaire et, éventuellement, la nécessité d’avoir recours à des modes de garde des enfants. De même, le gain à une reprise d'activité au SMIC demeure faible pour les familles les moins nombreuses précédemment titulaires du RMI (une personne isolée ne gagne, tout compris, que 150 € par mois à terme s'il reprend une activité à temps plein). Pour ce type d’emploi la PPE est plus significative (50 à 70€ par mois) quoiqu’elle ne compense pas la perte d’aide au logement très élevées sur cette catégorie.
La prise en compte de différents coûts montre ainsi qu’un allocataire du RMI perd souvent de l’argent quand il reprend un emploi, y compris à mi-temps. Le gain se transforme en perte si l’on prend en compte les aides facultatives et les frais engendrés par la reprise d’un travail.
Rappelons en effet que ces études donnent une image plutôt positive de la réalité puisqu’elles n’intègrent pas :
- L’effet de seuil créé par les aides sociales facultatives, dont une étude récente (Y L’Horty, D Anne) montre qu’il est pourtant fort, alors que ces aides représentent en moyenne 20% du revenu plus défavorisés (voir résolution 5).
- L’effet de seuil induit par la Couverture Maladie Universelle Complémentaire (voir
résolution 8).
- Le coût monétaire d’une reprise d’emploi, notamment les coûts d’habillage, de garde et de transport qui, même s’ils ne sont pas estimés par les économistes, sont sans doute élevés, notamment dans les zones rurales.

2 - Le prélèvement sur les revenus du travail des ménages les plus modestes équivaut parfois à plus de 100%

La reprise d'une activité professionnelle ne se traduit pas toujours pour les ménages par un accroissement du revenu disponible. Pour désigner le prélèvement implicitement opéré sur ce revenu, les économistes ont pris l’habitude de parler de taux marginaux d'imposition. Ils mesurent ainsi la proportion, pour un ménage donné, de l’augmentation des revenus du travail qui se trouve prélevée, soit sous forme d'impôt supplémentaire, soit sous forme de diminution de prestations, soit les deux. Quand cette proportion atteint 100%, le gain à la reprise d’emploi est nul : c’est notamment le cas pour les bénéficiaires de minima sociaux, compte tenu du caractère différentiel des minima ; quand elle dépasse 100%, le ménage subit une perte nette : c’est notamment le cas quand en plus de son revenu minimum d’insertion, le ménage perd des aides facultatives ou des aides au logement.
Plusieurs réformes récentes ont visé à réduire l’occurrence des taux de prélèvement supérieurs à 100%, connus sous le nom de « trappes à inactivité » : création de la Prime pour l’Emploi, réforme de la taxe d’habitation, du barème des aides au logement. La possibilité d’être intéressé à la reprise d’emploi, c’est-à-dire de maintenir temporairement une partie du revenu minimum d’insertion ou de l’Allocation de Solidarité Spécifique pendant une période déterminée, a également visé à constituer une réponse à cette question.

Une étude récente de la Direction de la prévision (DGTPE) montre que, en 2004, la
courbe des taux marginaux d'imposition garde un profil en U, avec des taux élevés aux deux extrémités de la distribution de revenus. Des taux marginaux de l’ordre 100% restent systématiques entre 0 et 0,4 SMIC, ce qui est cohérent avec les cas types de la direction de la sécurité sociale. Ces taux sont en fait certainement supérieurs à 100% dans la réalité puisque l’étude n’intègre pas non plus les prestations facultatives.

Bref les allocataires de minima sociaux continuent aujourd’hui à perdre de l’argent quand ils reprennent un emploi.

Source : DGTPE, Maquette Paris
Note de lecture : les taux marginaux d’imposition sont très élevés entre 0 et 0,4 SMIC ce qui veut dire que les gains à la reprise d’un emploi pour ce type de rémunération sont quasiment nuls. A partir de 0,7 SMIC, un individu qui reprend un emploi gagne plus de 70% du revenu net qu’il reçoit (soit un taux marginal de 30%)."

Espérons que du haut de son Haut Commissariat, M. Hirsch se souviendra de ces constats...

Je reviendrais plus tard sur la création du futur Revenu de Solidarité Active.